Homélie prononcée par Mgr Camiade dimanche 3 juillet 2016 à Rocamadour
Les 72 disciples de Jésus, après leur toute première mission, reviennent tout joyeux et vont rendre compte à Jésus de ce que "même les démons nous sont soumis en ton nom".
Nous qui sommes réunis pour rendre grâces devant le Seigneur des beaux fruits de la Mission Zachée, peut-être ne nous exprimons-nous pas en ces termes, mais beaucoup de témoignages de retour de mission vont dans ce sens précis d’une force incroyable donnée par le Christ et la Vierge Marie pour que des personnes fâchées depuis des années se reparlent, que des personnes loin de l’Église retrouvent un élan et une occasion de prière, que des liens entre communautés se resserrent et que des chants joyeux montent à la fois des cœurs et des lèvres. Cette mission a été un temps de réveil spirituel pour beaucoup de paroisses. Beaucoup de pèlerins âniers missionnaires ont été surpris de découvrir la foi des habitants du Lot. C’est un peu comme si les forces démoniaques du ressentiment, de la tiédeur spirituelle, du repli sur soi et de la tristesse étaient anéanties. "Même les démons nous sont soumis en ton nom".
Comme au temps de Jésus, bien sûr, tout le monde n’a pas accueilli la mission. Les paroisses se sont investies de manière inégale. Les villages visités ont parfois fait grise mine, fermé leurs volets à l’arrivée de Notre-Dame. "Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser, disent alors les missionnaires. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché". Aujourd’hui, Jésus, dans les bras de sa mère la Vierge Marie, Notre-Dame de Rocamadour, a frappé à vos portes. Il est venu demeurer chez vous comme chez Zachée. Difficile de l’ignorer. Toute la presse en a parlé et, reconnaissons-le, avec une réelle bienveillance, celle qui a dominé largement l’accueil de la Mission.
J’ai reçu plusieurs lettres de missionnaires qui, une fois rentrés chez eux ont tenu à me remercier pour la Mission. En fait, ces remerciements, je les porte aujourd’hui auprès de Notre-Dame. Et il faut dire la vérité : l’idée de cette mission vient d’un couple de baptisés laïcs qui a expérimenté en famille déjà l’an dernier le pèlerinage avec un âne comme moyen sympathique d’entrer en relation et de dire que Dieu nous aime. Le recteur du sanctuaire, avec son équipe, a mis au point ensuite la formule Zachée. J’ai été heureux de bénir et d’encourager, de reconnaître le sens profond de cette intuition. Il me semble aussi que le fait de vivre la mission dans les paroisses, avec les paroissiens a été une clé majeure de l’ampleur de cette expérience. Trop souvent, des missions naissent d’initiatives privées sans tenir compte du dynamisme missionnaire propre des paroisses territoriales. On cède à l’arrogante tentation de croire qu’on est les seuls à savoir faire et que les paroisses auraient perdu leur souffle missionnaire. La mission Zachée a montré le contraire. Les missionnaires paroissiaux —et là encore très majoritairement des fidèles baptisés laïcs— ont préparé le terrain missionnaire, en lien, bien sûr, avec leurs curés et grâce aux explications des équipes du sanctuaires qui sont venu sur place leur présenter le projet. Les plannings, les hébergements pour l’âne et les âniers, les repas festifs, les tracts dans les boîtes aux lettres, les contacts avec la presse aussi... Beaucoup a été fait par nos paroissiens pour que Notre-Dame de Rocamadour soit accueillie dans les villes, les villages, les maisons et les cœurs.
Dans les lettres reçues des pèlerins-âniers, je relève beaucoup de témoignages de ce que les missionnaires ont eux-mêmes été convertis par la mission. Une femme m’écrit par exemple qu’elle a l’impression d’avoir fait "un bond dans la foi et surtout d’avoir un cœur un peu plus de chair... je suis, dit-elle, redevenue très sensible à la souffrance d’autrui tout en ayant cette confiance en Dieu qui compatit avec les personnes en souffrance". Une autre écrit : "J’ai été marquée par la capacité des personnes que nous rencontrions à nous confier une page de leur vie, page souvent douloureuse en raison de deuils ou de maladies. Nous avons aussi rencontré des couples âgés, heureux. Les gens ont fait preuve de bienveillance à notre égard, même les personnes manifestement éloignées de l’Église".
Comme souvent, la mission évangélise en premier les missionnaires ! En fait, c’est un échange. Mais aussi, c’est le partage de l’expérience d’être disciples de Jésus. Ensemble, nous marchons à sa suite. Nous n’avons pas la possibilité de transmettre quelque chose si nous-mêmes nous ne sommes pas en chemin derrière Jésus, comme des disciples dociles qui cherchent à vivre de sa parole.
L’Évangile d’aujourd’hui doit nous avertir contre toute arrogance missionnaire : "ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux". Jésus nous avertit contre cette tentation de s’arrêter au pouvoir spirituel ("les esprits vous sont soumis") qu’il donne à ceux qui vont témoigner de son amour alors que c’est l’auteur de ses grâces qu’il faut contempler. Le Missionnaire doit se mettre en route vers Dieu, chaque jour de sa vie. "Vos noms se trouvent inscrits dans les cieux" dit Jésus, voilà la vraie joie de la mission et non pas le pouvoir sur les démons. L’expérience d’un pouvoir sur les autres n’est pas la finalité de la mission mais juste un moyen donné gratuitement pour libérer le désir de suivre Jésus jusqu’aux cieux qui a été semé par Dieu dans le cœur de tout être humain. Le baptisé est toujours en chemin, jusqu’à son arrivée au ciel, sa vraie patrie.
J’ai dit que la mission Zachée a été portée essentiellement par des baptisés laïcs, bien sûr, tous très en communion avec leurs curés et avec l’évêque. Alors, après l’action de grâce de ce jour, il nous faut aussi recueillir ce fruit significatif de la mission : tout baptisé est missionnaire. S’il est disciple de Jésus-Christ, s’il prend avec lui —sur son âne ou son VTT, en fait surtout dans son cœur— la Vierge Marie, il reçoit de l’Esprit Saint une mission de transformation du monde. Les démons lui sont soumis. Il peut sanctifier le monde. Il a reçu l’Esprit Saint au baptême pour cela. Ainsi, la mission continue toujours pour le baptisé et, en premier lieu, dans son milieu professionnel. L’expérience missionnaire avec Notre-Dame de Rocamadour doit être pour chacun de nous une révélation de notre condition de disciple-missionnaire. Elle doit nous pousser à une plus grande fidélité à Jésus dans la prière, à une plus grande confiance en Marie, mère de miséricorde, mais aussi cette expérience doit nous conduire à une plus grande sensibilité à la vie du monde qui nous entoure. Elle élargit notre capacité à y faire rayonner la force de la joie chrétienne, à y faire progresser la justice et la paix.
Je crois que cette mission Zachée a été féconde parce qu’elle n’a pas consisté à servir des prêtres ou à servir l’organisation d’une communauté paroissiale ou d’une communauté centrée sur elle-même et obsédée par l’inquiétude de sa survie, mais parce qu’elle a été une mise en route désintéressée à la suite de Jésus et avec la Vierge Marie, pour rencontrer des frères, pour goûter ensemble la joie de l’Évangile. De cela, au total, nous sommes tous bénéficiaires mais pas sur le plan d’une stratégie d’influence, juste parce que nous avons pris le temps de nous mettre en route, les uns avec les autres, dans la joie de savoir nos noms inscrits dans les cieux.
Chers frères missionnaires et vous aussi qui êtes là en pèlerinage, ce que vous devez attendre surtout des prêtres et des évêques, c’est de vous aider et de vous accompagner sur cette route et dans votre recherche des solutions aux problèmes actuels de la société dans laquelle vous vivez. C’est par ce pèlerinage commun que se construit le Royaume de Dieu et que l’Église est vivante.
Rendons grâces à Dieu qui nous fait grandir dans la foi, l’espérance et l’amour fraternel !
Vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ! Amen.